Article publié le 23/08/2020
« Anissa » de Wejdene : autopsie du carton musical de l'été
@ Image par Jörn Heller de Pixabay
Carton musical de l'été, le titre "Anissa" a rapidement propulsé Wejdene au firmament de la nouvelle scène urbaine française. Un succès relativement inattendu pour la jeune interprète, qui a su faire renaître avec talent la figure de l'héroïne romantique confrontée à ses désillusions, mais dans une version moderne et exempte de toute naïveté. Décryptage d'un phénomène.
A moins d'être restés confinés dans une grotte au cours des derniers mois, vous n'avez sûrement pas échappé à "Anissa", un titre entêtant qui a rapidement propulsé Wejdene sur le devant de la nouvelle scène française. Au-delà de son riche univers musical, le titre impressionne par la qualité de son écriture et la maturité de sa jeune interprète, sensible mais décomplexée, devenue la porte-étendard de toute une génération.
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On est proche des thématiques développées par Gustave Flaubert dans Madame Bovary" analyse Sylvie Morisseau, professeure agrégée de lettres modernes. "
Elle a habilement su faire renaître la figure de l'héroïne romantique confrontée à ses déceptions amoureuses et à ses désillusions, mais sans le côté sentimentaliste et exaspérant que pouvait inspirer Emma Bovary" poursuit-elle. Un point de vue partagé par Kevin Martinez, qui n'a manifestement pas manqué de faire le rapprochement. "
Madame Bovary elle est vraiment trop teubé, genre elle se fait grave des films, alors forcément après elle est déçue. Alors que Wejdene c'est une fille qu'est trop badass".
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Ce qui frappe véritablement, c'est la puissance de l'écriture. Une phrase telle que "Je pouvais dead pour toi"
témoigne de l'intensité des sentiments qu'elle éprouvait à l'égard de ce garçon qui l'a trompée en s'enfilant sa cousine" décrypte la professeure. "
Mais contrairement à Emma Bovary, dont la vie bascule irrémédiablement vers une issue fatale, Wejdene ancre son désespoir dans un réalisme de combat criant de vérité avec des vers tels que "Maintenant ben j'vais t'bloquer, tu rends mes bijoux, cadeaux et n'oublie pas de me ramener les clés"
venant en support de visions plus évanescentes "Nous deux c'est terminé, eh eh, tu me cherches mais je suis plus là, ah ah"
qui marquent le délitement de sa relation".
Mais impossible de parler de "Anissa" sans évoquer ce fameux
gimmick qui a sans aucun doute été à l'origine de son succès. "
Oui en effet, vous voulez parler de ce vers "Tu prends tes caleçons sales et tu hors de ma vue" ? nous demande malicieusement Sylvie Morisseau. "
Elle sait assurément faire preuve d'une grande dextérité littéraire en employant cette technique dite du ghost word, qui invite l'auditeur à s'inventer sa propre histoire, à créer son propre paysage mental. C'est une technique que l'on retrouve fréquemment dans l'univers de la musique instrumentale".
Un succès qui semble en tous cas se confirmer pour Wejdene puisque son deuxième single "Coco", sorti il y a quelques jours seulement, se classe déjà en tête des écoutes sur les plateformes de streaming. Avec ce titre plus engagé, qui dénonce les ravages provoqués par les gels douche parfumés à la noix de coco, Wejdene dévoile une nouvelle facette de son talent, et s'inscrit définitivement dans le sillage de l'immense Aya Nakamura dont le flow légendaire continue, titre après titre, d'émerveiller les orthophonistes du monde entier.