Article publié le 24/08/2023
Balades insolites de l'été : la poésie urbaine s'expose à Nanterre
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A l'heure où la France suffoque sous la chaleur ouatée d'une canicule tardive, Le Journal du Slip vous invite à une balade rafraîchissante en bord de Seine à la (re)découverte des trésors cachés de la poésie urbaine. Un parcours au fil de l'eau, où les tendances modernes se plaisent à contrarier le charme bucolique de ce haut lieu de l'impressionnisme. Egalement une occasion utile et agréable d'apaiser les esprits après les dernières émeutes dont la ville fût l'épicentre.
Oubliez les dernières émeutes urbaines, les voitures calcinées, et les tirs de mortier, cet été, c'est un visage apaisé de Nanterre que vous invite à découvrir Le Journal du Slip. Dans un cadre verdoyant, sur un chemin de terre ondulant au fil de l'eau, nous partons à la découverte de ces oeuvres injustement oubliées, en compagnie de Sylvain Levazeux, maître de conférence en histoires de lard à l'université Paris X Nanterre.
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La plupart de ces oeuvres sont anonymes. C'est une tendance majeure de ces dernières années. Elle repose sur deux principes fondamentaux ; d'une part l'artiste apporte une matérialité à un sentiment, un cri, un désespoir collectifs dont il ne se fait que le porte-parole, et d'autre part, en refusant de signer son oeuvre, il s'en dépossède, elle n'appartient plus à personne, elle est à tout le monde " nous précise-t-il en introduction.
Plus loin sur le chemin, au détour d'une construction, il attire notre attention sur un graf idéalement placé sur un mur blanc. "
Ce qui frappe en premier lieu, c'est le contraste saisissant entre le blanc presque immaculé de ce mur et le noir profond utilisé. Ils étaient comme destinés à se rencontrer. Le message "Nique le 17
" n'en a que plus d'impact. C'est une calligraphie typique d'un revival du style brut tel qu'on pouvait l'observer à Bristol dans les années quatre-vingt. Par contre on n'a toujours pas compris pourquoi l'artiste en voulait tant au département de Charente-Maritime ; ça reste un mystère " s'interroge-t-il. "
Après tout, c'est aussi le propre de chaque artiste, savoir rester insaisissable. Mais venez, je vais vous montrer Suce Mon Zob
, le chef d'oeuvre de ce parcours ".
Après quelques minutes de marche dans une attente fébrile, nous arrivons enfin devant Suce Mon Zob.
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C'est à mon sens une oeuvre majeure du mouvement dit de poésie urbaine " nous explique-t-il non sans une pointe d'émotion dans la voix.
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Regardez tout d'abord le support, cette grille sur laquelle est posée l'oeuvre. Vous savez, dans l'art communément appelé urbain, l'environnement d'exposition est aussi important que l'oeuvre en elle-même. J'irai même plus loin, il fait partie intégrante de l'oeuvre, qui s'affranchit ainsi de tout cadre standard. Cette grille à l'état brut nous inspire une profonde et suffocante sensation d'emprisonnement. En y déposant son oeuvre, l'artiste détruit cette barrière et délivre ce message universel : l'art, plus fort que toutes les oppressions.
Passons maintenant à l'analyse de l'oeuvre elle-même. Regardez ces deux aplats rose et jaune, et ce rectangle blanc au milieu. Vous l'aviez deviné, mais je vous le confirme, c'est la reproduction à l'identique mais inversée d'une toile acrylique de Mark Rothko datant de 1950 : White center (Yellow, Pink and lavender on rose)
. Est-ce que vous ressentez le contraste de cette toile avec des mots tels que Stockage
, Carburant
? C'est tout le génie de cet artiste, s'inspirer de l'expressionnisme abstrait pour y superposer des mots d'une matérialité crue, presque vulgaire ! Notez l'absence d'accents sur le dernier mot et le passage brutal du vouvoiement au tutoiement. Laissez cet endroit. Degage
. Ils créent une puissante impression d'escalade dans la violence des propos. C'est dans ce climat de tension instable que Suce Mon Zob
vient en surimpression offrir un dénouement apaisé à l'ensemble. Ces lettres tout en courbes, posées là presque négligemment tel un arc-en-ciel monochrome, viennent comme déposer une pellicule de douceur qui annihile toute violence sous-jacente. L'oeuvre s'ouvre alors sur un nouvel horizon ; le trait de soulignement n'étant pas sans évoquer le contour d'un soleil levant, à l'aube d'un jour nouveau porteur de toutes les promesses ".
Une oeuvre intense, presque éprouvante, et sous cette chaleur, on en a le slip trempé.
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Venez, pour terminer, j'ai un très beau Sa mère la pute
sur fond gris à vous montrer ! ".